Le cas des passagers du tramway
Lorsque la victime est un passager, l’exploitant du tramway est tenu de l’indemniser des dommages corporels sur le fondement de son obligation contractuelle de sécurité. Durant le temps du trajet, cette obligation est de résultat. Le transporteur a ainsi la responsabilité de garantir que les voyageurs arrivent sains et saufs à destination.
Une obligation de résultat implique que si le résultat promis n’a pas été atteint, le débiteur est présumé responsable.
Par conséquent, si les passagers ne sont pas acheminés en toute sécurité à leur destination, la responsabilité du transporteur pourra être recherchée sur le fondement contractuel.
Le cas des tiers extérieurs au tramway
Outre les accidents de passagers du tramway qui tombent sous le régime de la responsabilité contractuelle, pour les accidents impliquant un tramway et un tiers extérieur (piéton, cycliste ou automobiliste), deux régimes juridiques peuvent s’appliquer :
- Le régime spécial des accidents de la circulation (loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter)
- Le régime général de la responsabilité du fait des choses (droit commun)
La détermination du régime applicable dépend principalement de la nature de la voie où s’est produit l’accident.
Critères de distinction des voies : « propre » ou « ouverte » ?
Collision sur une voie propre : exclusion de la loi Badinter
L’article 1er de la loi Badinter exclut de son champ d’application les tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. Le seul critère d’exclusion de la loi Badinter est donc la notion de voie propre. Or, cette notion de « voie propre » n’a pas été définie par la loi. Cependant, la jurisprudence a précisé deux critères cumulatifs permettant de qualifier une voie de « propre » (Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411). Ces critères sont :
- L’exclusivité de la circulation : la voie doit être strictement réservée aux tramways, sans accès possible pour les autres usagers de la route.
- La séparation matérielle : ce critère suppose que la voie empruntée par le tramway est isolée des autres voies de circulation, routière ou piétonne, par des aménagements physiques tels que des bordures, barrières, marquages au sol ou terre-pleins.
Par conséquent une voie propre peut être définie comme une voie :
- sur laquelle seul un tramway peut circuler ;
- qui est matériellement séparée des autres voies par des obstacles matériels empêchement le passage des autres usagers de la route.
Exemples jurisprudentiels
- Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411 : une voie isolée par une bordure surélevée et des barrières constitue une voie propre. Par conséquent, la victime heurtée par un tramway circulant sur cette voie ne pouvait pas invoquer l’application de loi Badinter.
- Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146 : une voie délimitée d’un côté par un trottoir et de l’autre par une ligne blanche a été qualifiée de voie propre. L’application de la loi Badinter est en conséquence exclue.
Collision sur une voie ouverte : application de la loi Badinter
À l’inverse d’une voie propre, une voie ouverte constitue une voie partagée ou accessible à d’autres usagers de la route, tels que les piétons, cyclistes ou automobilistes.
Lorsqu’un tramway circule sur une voie ouverte, il est assimilé à un véhicule terrestre à moteur (VTM). Par conséquent, en cas d’accident entre un tiers et un tramway sur une voie ouverte, le régime spécial de la loi Badinter doit s’appliquer.
Exemples jurisprudentiels
- Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491 : un tramway qui traverse un carrefour ouvert à la circulation est considéré comme un VTM, qui doit respecter le Code de la route et être soumis au régime de la loi Badinter.
- Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-25.352 : la loi Badinter est applicable à un accident entre un piéton et un tramway circulant sur une voie qui n’est pas une voie matériellement isolée du trottoir adjacent.
Comparaison des régimes d’indemnisation
Victimes non conductrices (piétons, cyclistes, passagers)
- La loi Badinter est plus favorable aux victimes non conductrices. En effet, sous ce régime, seule une faute inexcusable de la victime peut exclure son indemnisation. Outre ces cas exceptionnels, la loi Badinter permet une indemnisation presque automatique des victimes.
- Le régime de la responsabilité du fait des choses est moins protecteur des victimes non conductrices. D’une part, ce régime choses impose à la victime de démontrer le rôle causal du tramway dans la réalisation du dommage. D’autre part, la faute de la victime peut plus facilement lui être opposée afin de limiter ou exclure son droit à indemnisation.
Victimes conductrices (automobilistes, motards)
Qu’il s’agisse du régime de la loi Badinter ou de celui de la responsabilité du fait des choses, une faute de la victime conductrice peut limiter ou exclure le droit à indemnisation des victimes, dans le cas où elles auraient contribué au dommage.
Conclusion
La détermination du régime applicable repose donc sur l’analyse du lieu de l’accident. Si la voie est « propre », la loi Badinter est exclue, et la victime doit invoquer le régime de la responsabilité du fait des choses. En revanche, une voie « ouverte » permet d’appliquer la loi Badinter, offrant une meilleure protection aux victimes non conductrices.
Par conséquent, il est toujours nécessaire d’identifier précisément le lieu de l’accident entre le tramway et la victime tierce afin de déterminer lequel de ces deux régimes est applicable.
Références
- Article 1, loi Badinter : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent […] à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. »
- Jurisprudence :
- Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411.
- Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146.
- Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491.
- Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-25.352.
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